Brachypode des bois : le retour vers la forêt

BRACHYPODIUM sylvaticum

Commun.

  • Mode de vie : vivace.
  • Période de floraison : Juin-Juillet-Août.
  • Habitat : Lisières des bois frais, haies.
  • Taille : 60 à 90 cm

Qui ne connaît pas cette graminée souvent rencontrée en forêt, au détour d’une clairière ?

La luminosité qu’elle renvoie permet de l’identifier facilement, comme si un rayon de soleil traversait la canopée et éclairait ce petit écrin de verdure jaune/vert.

Une bio-indicatrice qui nous dit que nos vignes (et leurs racines) retrouvent un milieu connu

La lente évolution de l’environnement et des sols de nos vignes la fait prospérer depuis plusieurs années dans plusieurs des 6 terroirs que nous distinguons à Wolxheim. C’est une écologue (merci Florie !) qui avait attiré mon attention sur cette plante de l’ourlet alors que nous taillions ensemble une parcelle d’auxerrois.

Avec la gesse aphylle, le lierre terrestre et les poireaux sauvages … , elle fait partie des plantes bio-indicatrices de nos terroirs que nous aimons voir se développer.

Cette plante vivace nous donne tout particulièrement une bonne nouvelle : nos vignes retrouvent progressivement un environnement qui leur convient, celui où elles ont prospéré, d’où l’humain les a tirées et sélectionnées pour leur aptitude à produire des raisins chargés d’antioxydants divers et variés, que la fermentation a pour vocation de conserver dans la boisson vin. C’est dans ce contexte également qu’elles sont en mesure des dérouler leurs résistances potentielles. Retour aux sources donc plutôt qu’extrémisme.

Depuis pas mal d’années, nos collègues reconnaissent que nos vignes restent plus vertes lorsqu’il fait sec, que nos raisins mûrissent alors que les vignes en stress oxydatifs divers ont du mal à effectuer leur arrêt végétatif. NB : ce ne sont évidemment pas uniquement les terroirs de Wolxheim qui permettent favorisent ces évolutions. Il en va de même pour des vignerons d’autres régions de France, d’Italie ou du Portugal, qui pratiquent des sols vivants associant des végétations spontanées à des pratiques agronomiques peu oxydantes, peu destructrices de leurs mécanismes lents et complexes. Les plantes et mécanismes qui y prospèrent spontanément sont bien sûr ceux propres au climat plus méditerranéen : garrigue, maquis, bush,…

2021 a été une année particulièrement intéressante pour l’observation des vignes entourées de brachypodes : l’année particulièrement humide a permis à l’oïdium de prospérer, notamment pour les cépages auxerrois, sylvaner et chardonnay, dans les milieux les plus exposés (plateau de l’Obertal pour nous). Les quelques grappes non atteintes par ce champignon, certes aux baies plus petites mais totalement saines se cueillaient au milieu des brachypodes…

Des sols vivants mais pas n’importe lesquels lorsqu’il s’agit de rendre compte de terroirs

Le grand avantage du vin est qu’il est censé rendre compte du lien à son terroir d’origine. Il n’impose donc aucune norme de biodiversité spécifique, hormis celle susceptible de s’y installer et de se développer au fil des millésimes. Il n’y a encore moins aucune légitimité à vouloir imposer un rendement à un terroir, si ce n’est celui que la vigne est capable d’y nourrir et mûrir, tout en protégeant elle-même ses fruits des agressions et aléas climatiques. Il n’y a que la prétention ou l’impatience humaine pour conduire à introduire artificiellement des plantes ou des micro-organismes là où ils ne prospèrent pas eux-mêmes ou suffisamment vite… exit donc le “lien au tracteur”, “l’équilibre ou l’accord parfait”, l’élevage (le vieillissement) qui porte le vin à son apogée, …

Cette quête du vin au plus près des vivants, que nous partageons avec nos collègues de l’AVLA (Association des Vins Libres d’Alsace) nous a permis de croiser nos expériences et d’accueillir en juillet 2022 des collègues d’autres vignobles français, à l’initiative d’Agrofîle, une structure qui fédère les expériences agro-environnementales en Ile de France, au plus près des zones urbaines. Des vidéos sont en ligne, qui rendent compte de différentes approches en cours en Alsace. Vous y retrouverez celles qui témoignent de notre volonté de transmettre et de contribuer à la conciliation d’une activité humaine traditionnelle avec les enjeux d’aujourd’hui.

Des pratiques plus que des mots ; des expérimentations plutôt que des labels ou des sparadraps plus verts ou techno…

A l’heure des mots et des concepts à la mode tels que vitiforesterie, permaculture, (HVE est hors concours puisqu’il détient le pompon du green washing subventionné), c’est l’occasion pour moi de rappeler qu’avant de planter des arbres dans les vignes, il faudrait qu’un arbre puisse y vivre, autrement dit que le sol doit être en voie de se rapprocher de celui de la forêt : fini le travail du sol, le compost ou l’engrais vert qui va bien et qui sera broyé/incorporé en pleine floraison pour donner un effet flash à une vigne qui n’en demande pas tant, ou encore l’introduction de mycorhizes cherchés dans une forêt voisine… Certes c’est toujours mieux que de planter des vignes résistantes à la sécheresse dans des parcelles mortes (comment résister dans un milieu mort ?) ou évidemment que d’installer des gouttes à gouttes comme certains le souhaitent déjà en Alsace.

Dans notre cas ce sont bien 10 à 15 ans de non intervention qui ont permis aux brachypodes de s’installer spontanément. Comme d’autres plantes, elles progressent par tache, pour leur part grâce à leurs rhizomes traçants, alors que les fraisiers sauvages se déploient par leurs stolons, les fabacées par leur gousses qui éclatent et projettent leurs graines, les tulipes et poireaux sauvages par leurs bulbilles….Les mécanismes sont multiples et complexes ; leur perturbation permanente est la conséquence de raisonnements simplistes dignes du milieu du 19ème siècle…

                                  

Reste que nous sommes en 2023, que des enjeux communs, bien au-delà de la production de la boisson vin, nous imposent de nous rapprocher des mécanismes du vivant. Le vin est donc un excellent propos pour interroger nos pratiques et par-delà nos goûts. La paradoxe le plus attristant est celui des appellations qui détiennent le monopole du lien au terroir et figent dans des normes de plus en plus inappropriées voire inacceptables des pratiques qui vont à l’encontre du lien qu’elles prétendent défendre…

AOC : C comme que Contrôle-t-on ? AOP : P comme que Protège-t-on ?

Nous avons introduit ce printemps une demande d’expérimentation auprès de l’AVA, organisme qui détermine et gère les normes de production des vins d’appellations en Alsace. Le projet est celui présenté dans cette vidéo, dont la fin est enregistrée dans une petite forêt existante en zone AOC, à l’occasion de la tournée sur le thème de la vitiforesterie. L’idée simple était d’inverser les temps : plutôt que de détruire une forêt (certes dégradée – la vigne était encore cultivée dans les années 60 dans cette parcelle non mécanisable), la conserver et y planter une vigne, conformément à la plupart des règles AOC en vigueur : cépages, taille, … Le refus a été immédiat, la demande n’a pas même été présentée en Conseil d’Administration. Verdict : la profession se lance dans une grande expérimentation autour des cépages résistants et veut y consacrer la totalité de ses moyens…

L’idée d’introduire des cépages résistants dans des milieux atrophiés méconnaît des mécanismes pourtant bien repérés aujourd’hui, mais trop peu étudiés in situ : les relations entre génétique, épigénétique et milieu sont ignorées au profit d’un miroir aux alouettes qui permettra sans doute de justifier la nécessité d’irriguer, solution à court terme bien plus rapide, qui autorisera de produire/détruire non seulement comme avant mais de perturber encore davantage les relations entre les vivants, qu’ils soient non humains ou humains.

Une note finale d’optimisme pour égayer ce constat d’aveuglement : les projets fleurissent, nous accueillons de nombreux étudiants, visiteurs, passionnés de vins, sommeliers, nous soutenons différents vigneron(nes) de pays et régions divers, avec qui nous partageons nos intuitions, nos constats et nos solutions de cohabitation professionnelle, d’équilibres économiques et de sérénité à réinventer sur des temps longs, ceux de la vigne et du vin.

Bruno Schloegel

Vigneron libre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.