Esthétique et éthique

J’avais inscrit cette double qualité sur ma page blanche à écrire en 2001. Difficile de quitter l’approche purement esthétique du vin : grands critiques, grands cuisiniers, grands vins, il m’a fallu du temps pour les relativiser.

Au final, la distance s’est faite d’elle même, par les vins qui nous naissent. Juste des vins de raisins mûrs ou sur mûris, cueillis dans des vignes non rognées, au sols non travaillés ni enrichis, aux plantes non fauchées, des fruits aux enzymes déjà actives et préservées, des levures, bactéries etc.. les moins perturbées possibles – l’écologie de la baie de raisin mûr m’intéresse toujours si vous tombez sur des travaux (cf une thèse du Portugal).

Les vins sont certes à l’image de leurs terroirs et millésimes, certes quelquefois en contradiction avec nos œillères gustatives, mais que notre « intelligence prospective » peut qualifier de vin vrai, qui s’insère dans le process de la vie, jusqu’à l’aliment qu’il doit rester.

Que le plaisir du « beau » ou du « grand » vin puisse rester un des possibles ne me choque pas, sauf lorsqu’il se veut impératif voire castrateur. Pour ma part, j’ai choisi de privilégier la dimension éthique pour plus de cohérence, quitte à ne pas la sacrifier au goût et à la hiérarchie dominante.

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Dans la bibliothèque, nous trouverez mes notes d’une intervention sur le vin éthique à l’Ecole de Management de Strasbourg. La combinaison acceptable des 2 critères passe sans aucun doute par la mise au point de process certes mouvants et adaptatifs mais « rentables » collectivement et individuellement. Bonjour la méso-économie !

Physiologie de la vigne et biodiversité : les 2 mamelles qui nourrissent et élèvent nos vins.

J’ai pour habitude de parler de notre cave comme d’une maternité/nurserie pour les vins qui y naissent – famille de Sages-femmes oblige –  et la sortie d’un foudre, pour ceux qui y sont déjà entrés, s’apparente à un accouchement. A l’intérieur un ciel étoilé, un milieu clos, odorant, où brillent les cristaux de tartrate. La vigne qui porte le fruit, les levures qui parviennent à fermenter ses sucres ne sont qu’une infime partie des process que le vivant a expérimentés et que l’homme peut encore apprivoiser par des pratiques plus fines, davantage des non-faire que des hypothèses d’apprenti sorcier.

Je situe notre quête à l’opposé de celle des nouveaux « OGM », qui seront dépassés avant d’être multipliés : elle repose sur des questions plus que sur des certitudes :

Comment oublier que le vivant bouge, entre maladies émergentes et résistances induites ? Les vignes inventées aujourd’hui seront dépassées avant d’exprimer un quelconque terroir dans 30 à 50 ans. Ou bien serons-nous forcés de les arracher/replanter tous les 15 ans ?

Le poids des titres & travaux, de la rentabilité à tout prix de recherches qui devraient avant tout nourrir notre humilité est-il tel ?

A l’heure du bilan carbone financiarisé, l’agro-foresterie, incorpore-t-elle le piégeage du carbone sous forme d’animaux non fixés (oiseaux, insectes, etc…) qui survivent ou ne restent que là où ils trouvent à manger, habiter, se reproduire  ?

 

Ce que biodiversité veut dire reste à écrire ; quelques images en attendant :

En ce printemps 2016, les fabacées s’en donnent à cœur joie

 

La définition du “vin de la biodiversité”, donnée par Yvon le Maho à l’occasion du chapitre dédié au vin des savants, permet d’éclairer nos horizons :
“le vin de la biodiversité doit beaucoup à la science, ce sera le vin qui aura utilisé tous les mécanismes offerts par les écosystèmes dans les vignes …”

 

 

 

Les mots du refus et amendes de l’INAO

Rencontrée il y a quelques semaines, la direction de notre ODG a bien du mal à entrouvrir les portes de l’expérimentation. Coincée entre des concepts bien français qui servent à définir (enfermer) la notion de vin de qualité, la tâche sera rude pour faire avancer la cause des vins (nature ou non) au sein de nos appellations-prisons.

Le schéma est typé des années 80 :

appellation définie par un cahier des charges (en principe écrit par chaque AOC mais sommée d’être cohérente avec une vision centralisée de ce que doit être un vin “de qualité”)

un plan de contrôle à 3 niveaux, pyramidal classique, (celui de Paris étant à la fois le rempart/pouvoir et le bâton que l’on peut agiter aux pauvres vignerons d’en bas) :

ODG, organisme de contrôle externe, INAO

à la base des courriers « pédagogiques », plus proches de menaces de sanctions pour tous ceux qui voudraient trop s’éloigner de la norme définie collectivement (via quelques uns).

Ainsi un vin (que je vous invite à venir goûter) qui aurait été jugé indigne d’être un sylvaner (car tannique donc âpre), un pinot gris avec mention sélection de grains-nobles (120gr/l de sucres résiduels mais salé et de couleur très claire car non oxydé/élevé, verdict manque de matière), un gewurztraminer ou un crémant pas assez sulfités (!), un Grand Cru non désacidifié, un gewurztraminer pas assez « sucré »… En gros à chaque vin prélevé, nous nous retrouvons avec une mauvaise note, source de courrier vexatoire (que je vais commencer à afficher) et d’ « amende ». En fait il s’agit du coût de la re-notification (qui nous a déjà été faite par l’organisme chargé du contrôle externe) de la dite notification par l’INAO. Au passage, même pour un défaut « mineur », 19 euros par vin dégusté « insuffisant » qui entrent dans la cagnotte de l’INAO avec la menace de nous retirer le « bénéfice » de l’appellation en cas de refus de paiement.

A souhaiter que le budget serve pour le moins à nourrir une réflexion plus tolérante pour nos appellations. Les limites des vins qu’elles revendiquent seraient celles que nous définissons collectivement. Alors apprenons à nous écouter et à apprécier nos différences. L’approche reste conflictuelle : seuls certains mots peuvent être utilisés pour qualifier les vins à défaut. Si vous arrivez à vous le procurer, beau recueil que celui qui répertorie limitativement le vocabulaire qui délimite les frontières du vin d’Alsace AOC.

En attendant, il me semble que la biodiversité propre à un terroir n’entre toujours pas dans la définition du « Terroir à la française » de l’INAO. La belle photo de marguerites dans les pentes d’un vignoble alsacien (je les suppose semées car je n’en ai jamais vues s’ouvrir d’elles-mêmes dans nos pentes mais surtout dans les prés inondables et autres zones de plaine !), qui illustre quelques pages web du CIVA, rend bien compte de la pauvreté/superficialité de l’analyse. On en rediscute dans 2 générations : pas de quoi s’ennuyer d’ici là.

Un frémissement : mettre de l’environnemental dans les AOC (histoire de ne pas être en retard?) si possible via des chartes non opposables…